Vêtements plus chers, accusations d’élitisme, et colère montante sur les réseaux : la nouvelle taxe textile voulue par le gouvernement pour réguler la fast fashion met le feu aux poudres. Derrière les discours écologiques, beaucoup de femmes dénoncent une loi injuste, qui vise leur pouvoir d’achat… et leur liberté.
« Si les choses étaient moins chères en France, on n’irait pas chercher ailleurs ! », lance Michèle, 61 ans, en commentaire d’un post Facebook consacré à la nouvelle taxe sur les vêtements à bas prix.
Comme elle, des centaines de femmes, mères de famille, retraitées ou jeunes salariées, ont exprimé leur ras-le-bol sur les pages Facebook de médias grand public. Le sujet ? Une future taxe qui pourrait faire grimper le prix de certaines pièces de 50 %, en ciblant les vêtements venus de plateformes comme Shein ou Temu.
Et si cette loi, débattue dans une relative indifférence politique, était en train d’allumer une mèche sociale ?
Une loi pensée pour l’écologie… qui frappe les petits budgets
Discutée en mai au Sénat, la taxe dite « fast fashion » prévoit un malus environnemental sur les vêtements jugés les plus polluants, notamment en fonction du volume de production et du nombre de collections lancées chaque année. Objectif affiché : lutter contre la surconsommation textile, l’impact carbone du secteur, et les pratiques de production délocalisées.
Mais depuis son passage au Sénat, la loi a été sérieusement recentrée : seules les plateformes numériques ultra low-cost comme Shein, Temu ou AliExpress sont visées. Les géants plus traditionnels comme Zara ou H&M en sont pour l’instant exclus.
Et c’est là que le bât blesse.
« Quelle différence entre des tee-shirts vendus entre 3 et 4 € dans les grandes surfaces venant du Bangladesh et la fabrication chinoise ? », écrit Patricia sur Facebook.
« Tout vient d’Asie ! Alors pourquoi taxer seulement ceux qu’on peut encore s’offrir ? », ajoute Audrey, autre internaute.
Le sentiment d’une injustice ciblée revient dans presque tous les commentaires analysés : on taxe les vêtements populaires, accessibles aux foyers modestes, mais on laisse passer les produits similaires, un peu plus chers, vendus en magasin dans les centres-villes.
Pour beaucoup de femmes, Shein n’est pas un caprice, c’est une solution
Contrairement à certains clichés, les consommatrices de Shein ou Temu ne sont pas uniquement des jeunes accros à la mode jetable. Ce sont aussi des mères de famille qui doivent habiller trois enfants, des retraitées qui veulent rester coquettes sans exploser leur budget, des jeunes femmes qui cherchent un jean à leur taille à moins de 20 euros.
« Si je commande chez Shein, c’est pas pour suivre la mode, c’est parce qu’un pantalon en taille 50 à 15 € je le trouve pas ailleurs », écrit Chloé, 29 ans.
« Je gagne 1 400 € par mois, j’ai deux ados à habiller. On fait comment ? », demande Eliane, aide à domicile, en commentaire d’un post du Journal du Dimanche.
La colère exprimée ne vise pas l’écologie – beaucoup de femmes se disent prêtes à faire des efforts. Mais pas seules. Pas sans alternatives. Pas sans justice.
« Encore une taxe pour les pauvres »
Le commentaire revient des dizaines de fois : « une taxe pour les pauvres ». Car cette taxe, selon beaucoup, ne touchera pas les consommatrices de marques plus coûteuses. Elle frappera celles qui ont fait du low-cost une nécessité, pas un plaisir coupable.
« Je ne suis pas responsable de la mondialisation ! On nous propose des trucs chers, moches et pas durables dans les magasins de ville, mais quand on achète en ligne ce qu’on peut, on est taxées ! », s’agace Nathalie, mère de quatre enfants dans le Nord.
« Je ne vois jamais de lois qui dérangent ceux qui prennent l’avion dix fois par an. Mais moi, si je commande une robe à 9,90 €, je suis coupable de polluer la planète ? », commente Sophie sur la page L’Obs.
« C’est pas une loi écolo, c’est une loi snob. Comme si les pauvres devaient être habillés en jute », ironise Marine, 42 ans.
Des choix politiques qui fâchent
Ce qui a fait basculer de nombreuses femmes dans la colère, c’est la réécriture du texte au Sénat : les enseignes urbaines et occidentales ont été retirées du dispositif, ne laissant dans le viseur que les géants chinois.
« On protège Zara et H&M parce qu’ils sont dans les beaux quartiers, et on tape sur Temu parce que c’est populaire. C’est politique, pas écologique », écrit Mélanie.
Cette impression d’un deux poids, deux mesures, où l’écologie servirait de prétexte à une sélection sociale, est l’une des critiques les plus récurrentes. D’autant que certaines marques échappent aux contraintes sous prétexte qu’elles ont des points de vente physiques ou des services de réparation.
« Donc si je fais mes courses sur Shein, je suis une pollueuse. Mais si j’achète les mêmes fringues à 30 € chez Zara, tout va bien ? Où est la logique ? », interroge Amélie.
Un sentiment de mépris
Au-delà des prix, ce que beaucoup ressentent, c’est un mépris de classe déguisé en conscience environnementale.
« On nous parle de friperies, mais faut avoir du temps, des grandes villes et du style pour ça. Nous on veut juste des vêtements propres, jolis et pas hors de prix », explique Amandine, 38 ans.
« Les politiques vivent dans un autre monde. Quand tu gagnes le SMIC, chaque centime compte. Et là, on t’enlève une des seules libertés que t’avais encore : t’acheter une petite robe sans culpabiliser », lit-on sur un post Facebook du Parisien.
Un débat qui ne fait que commencer
À ce jour, la taxe n’est pas encore appliquée. Le projet de loi doit encore passer en commission mixte paritaire, et pourrait encore évoluer. Mais sur le terrain, la fracture est déjà là.
Une fracture économique, culturelle, et même émotionnelle. Car pour beaucoup de femmes, la mode est une manière de se sentir bien, de s’intégrer, de rester digne malgré les galères.
Et si demain un simple haut à 5 € devenait un privilège, qu’en restera-t-il ?